La Chine et les terres rares : l’histoire d’une victoire
À l’occasion de la parution du livre La France et les Terres rares (Rémy Sabathié, Les Editions du Net, février 2016) et du dernier livre des Yeux du Monde, Panorama des ressources mondiales (Les Editions du Net, mars 2016), revenons sur un épisode clé de la géopolitique et de la géoéconomie des matières premières : l’histoire de la construction du monopole chinois sur les terres rares, ces métaux quasi incontournables dans la fabrication des smartphones, des ordinateurs, des lampes basse consommation mais aussi des voitures hybrides, des éoliennes ou encore des drones.
S’il est vrai qu’à l’heure actuelle la République populaire de Chine domine incontestablement la production mondiale de terres rares (elle détient plus de 90% de la production totale), la Chine n’a pas pour autant toujours été le maître du marché mondial des terres rares. Tout au long du XIXe siècle, la France est un leader scientifique dans le domaine des terres rares. Puis, en 1919, le chimiste Georges Urbain fonde la Société des produits chimiques des terres rares qui dispose d’une usine consacrée à la fabrication de briquet au mischmétal et de manchons à gaz à base de terres rares. L’usine, transférée à La Rochelle dans les années 1940, existe toujours et appartient à Rhodia (groupe Solvay). Son activité devrait cesser fin 2016 après presque 100 ans d’existence, faute de rentabilité.
Dans la première moitié du XXe siècle, soit avant l’industrialisation de la production d’oxydes de terres rares, l’Afrique du Sud était le principal extracteur de terres rares, même si sa production demeurait confidentielle. Ce n’est qu’à partir du projet Manhattan (1939-1946) dont le but est de concevoir la première bombe atomique que les Américains s’emparent du sujet des terres rares et commencent à développer de nouvelles technologies de séparation. Les États-Unis deviennent à partir des années 1960 le premier producteur mondial de terres rares et ce jusqu’au milieu des années 1980.
La Chine s’empare de la filière des terres rares
La Chine entre alors en scène sous l’impulsion de Deng Xiaoping qui opte pour une stratégie de long terme de développement de la filière nationale des terres rares. En 1992, il affirme même que « les terres rares sont à la Chine ce que le pétrole est au Moyen-Orient ». La politique de prix bas permet à la Chine de gagner rapidement des parts de marché sur son concurrent américain : le géant Molycorp, propriétaire de Mountain Pass, la seule grande mine de terres rares des États-Unis. Dans le même temps, les entreprises chinoises lancent des OPA sur les principales sociétés détentrices des technologies clés de la filière des terres rares. Un consortium chinois acquiert en 1995 la filiale de General Motors appelée Magnequench, le fleuron de l’industrie américaine détenteur du savoir-faire en matière de fabrication d’aimants permanents à base de terres rares. Toute la propriété intellectuelle (les brevets et donc les secrets technologiques) s’envolent pour la Chine et à peine 5 ans plus tard l’usine de l’Indiana est rapatriée en Chine.
En 2002, la mine de Mountain Pass est fermée. Désormais seul maître du marché des terres rares, la Chine construit son monopole et atteint 97 % de la production mondiale de terres rares en 2010. Dans un sursaut combattif, les États-Unis tentent par l’entremise de Molycorp de reprendre la main sur le marché pour sécuriser leurs approvisionnements en terres rares, essentielles pour l’industrie américaine de l’armement. La mine de Mountain Pass est réouverte en 2012 mais Molycorp se déclare en faillite durant l’été 2015, après avoir enregistré plus d’un milliard de dollars de perte. En effet, après l’embargo chinois sur les terres rares fin 2010 et la flambée des prix de ces métaux courant 2011, il semblait possible pour la concurrence de s’installer sur le marché des terres rares. C’était sans compter sur la Chine qui, en réponse à l’injonction de l’OMC, décide de supprimer sa politique de quotas à l’export pour la remplacer par un système de licences accordées à des entreprises partenaires. La Chine continue ainsi d’inonder le marché mondial de ses terres rares, maintient les prix à la baisse pour annihiler toute concurrence et force l’implantation de sociétés étrangères sur son sol en échange d’un accès aux matières premières (terres rares).
Actuellement, l’administration de Xi Jinping mène un double combat : la fermeture des mines illégales de terres rares et la protection de l’environnement, ravagé par le lessivage des sols et la pollution due à l’exploitation des terres rares. Cette initiative s’accompagne d’un vaste mouvement de restructuration et de concentration de l’ensemble de la filière chinoise des terres rares autour d’un oligopole de champions nationaux au service de la diplomatie de Pékin. Ainsi, la Chine tient les métaux stratégiques indispensables aux principaux secteurs porteurs du XXIe siècle comme la robotique, l’aéronautique, la microélectronique et les énergies renouvelables et se positionne comme un acteur incontournable sur l’ensemble de la filière des terres rares.